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ment à l’orgueilleuse joie de mademoiselle Julie lorsqu’elle se verrait comtesse. Or, environ quinze jours avant le départ d’Ewen de Ker-Ellio pour Paris, M. de Montal attendait un matin mademoiselle Julie pour lui faire part de sa résolution. Le comte avait jugé à propos que cette scène importante de sa vie se passât chez lui.


CHAPITRE VII.

Le mariage.


Le moral de M. de Montal ainsi posé, nous dirons quelques mots de la figure du gentilhomme. Il était de taille moyenne, élégante et svelte, d’une physionomie en apparence ouverte et franche ; mais, en l’examinant plus attentivement, certains plis du front révélaient de méchantes préoccupations, de même que la ténuité de ses lèvres minces annonçait la fausseté ; à l’occasion, ses yeux bruns avaient une expression de douceur humble et hypocrite, mais ordinairement son regard était vif et gai ; son nez petit, un peu relevé, lui donnait un air de finesse remarquable ; l’ovale de son visage était régulier ; seulement ses dents n’étaient ni belles ni bien rangées. Somme toute, M. de Montal avait ce qu’on appelle une très-agréable figure, des façons excellentes et une tournure fort distinguée. En attendant mademoiselle Julie, il portait une robe de chambre de cachemire français, un pantalon de flanelle rouge et des pantoufles turques. M. de Montal marchait avec une agitation fébrile dans le salon que nous avons dépeint, lorsqu’il entendit sonner ; il tressaillit, fit un mouvement décisif et dit à mi-voix : — Il n’y a plus à hésiter !


Mor-Nader.

La porte s’ouvrit, une jeune femme entra. Grande et mince, âgée de vingt-cinq ans environ, mademoiselle Julie était vêtue plus que modestement, non par pauvreté mais par avarice ; sa petite capote de moire blanche à demi fanée pouvait à peine contenir les boucles épaisses de ses beaux cheveux bruns ; elle avait de grands yeux noirs, une bouche mignonne et vermeille comme une cerise, des dents perlées, un teint brun frais et uni ; en un mot, malgré la simplicité de sa mise, mademoiselle Julie était charmante. Seulement, comme nous l’avons dit, par un contraste singulier, elle laissait avec son costume de théâtre la distinction de ses manières. Les gens délicats ménagent toujours ce qui est d’emprunt. Mademoiselle Julie avait déposé son parapluie et ses socques dans l’antichambre ; elle donna tour à tour à M. de Montal son manchon, son manteau, son chapeau, et surveilla d’un regard de sollicitude inquiète le placement de ces différents objets. M. de Montal ayant, dans sa préoccupation, mis le manteau sur le chapeau, mademoiselle Julie s’écria :


L’abbé de Kérouëllan.

— Mon chapeau, mon chapeau ! Mais prends donc garde, Édouard ! tu vas en faire une vraie galette ! — C’est vrai, ma bonne Julie, je n’avais pas fait attention. — Mais il faut faire attention : un chapeau presque neuf ! Je ne suis pas une sans-soin ! Dieu merci, je ne gâche pas mes affaires. Quel mauvais feu tu as ! Dis-moi donc quelle lubie t’a pris de me déranger, de me faire venir chez toi en sortant de la répétition ? Donne-moi donc un tabouret pour mettre sous mes pieds. Es-tu peu galant, va ! — Ma chère Julie, j’ai à te parler très-sérieusement, dit M. de Montal d’un air doux et grave en se mettant à genoux à côté du fauteuil de mademoiselle Julie et en s’accoudant sur le bras de ce meuble. — Es-tu gentil quand tu te mets ainsi à genoux et que tu prends ton air câlin ! dit mademoiselle Julie en s’adoucissant. Voulez-vous bien ne pas me regarder comme cela, monsieur, car j’ai à vous gronder. — Me gronder ? — Certainement. C’est en vérité un plaisir de te charger de mes commissions. Je t’envoie avant-hier chez Melnote lui porter la mesure pour mes brodequins, j’y passe tout à l’heure, il ne savait seulement pas ce que je voulais lui dire. C’est gracieux. — Ma chère petite, j’ai dit à Olivier d’y aller, et je ne conçois pas… — Il ne s’agit pas d’Olivier ; si j’avais voulu faire faire cette commission par un domestique, j’y aurais envoyé Annette. Je t’avais demandé d’y aller : c’était pour être sûre que ça serait fait. Comptez donc sur quelqu’un ! — Voyons, mon adorée, ne me gronde pas. Je ne suis pas assez malheureux de t’avoir déplu ? — Non, c’est que c’est vrai aussi, il n’y a personne de plus négligent que toi. L’autre jour, je te recommande mon bouillon froid dans l’entr’acte ; quand je joue dans deux pièces et que je suis fatiguée, tu sais que cela me fait du bien… — Ne suis-je pas allé chez Véry t’en commander un ? — Oui, mais si gras, si gras, que je n’ai pas pu le boire ; tu pouvais bien le faire dégraisser devant toi. — Allons, mon bon ange,