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— Parce que nos guerriers attendent la volonté de Mama-Jumboë ; le soleil s’abaisse, et si le grand esprit veut que nous allions attaquer les blancs, il faut que nous soyons sortis avant la nuit. — L’homme est-il prêt ? dit la sorcière. — Il est prêt, répondit Zam-Zam. — A-t-il jeûné ? — Il a jeûné. — Est-il purifié ? — Il est purifié. — A-t-il fait le sacrifice de sa vie ? — Il l’a fait. — S’attend-il à mourir ? — Il s’y attend. — La case de l’épreuve est-elle préparée ? — Elle est préparée.

Et la sorcière sortit, suivie de Zam-Zam.


CHAPITRE XIX.

L’épreuve du serpent.


Le nègre destiné par le sort à subir l’épreuve du serpent avait été, nous l’avons dit, préparé à cette cérémonie propitiatoire par trois jours de jeûne. Baboün-Knify, Zam-Zam et quelques vieux noirs, experts dans la science des augures, devaient seuls assister à ce cruel spectacle.

Les rebelles, assemblés au dehors, attendaient avec une superstitieuse impatience l’arrêt du destin.

La case où devait avoir lieu l’épreuve était circulaire ; deux vases d’argile, remplis d’huile de palma-christi, au milieu desquels brûlait une mèche de coton, éclairaient cette lugubre scène.

Le chef nègre et trois vieux nègres étaient assis au bord d’un hamac suspendu aux solives du toit, à une assez grande distance du sol.

La sorcière plaça sa boîte en face de la porte, à l’autre extrémité de la cabane ; puis, avec sa baguette divinatoire, elle traça différents cercles cabalistiques sur le sol, recouvert d’un sable fin et humide.

Ces cercles, assez éloignés les uns des autres, devaient, selon que le nègre s’y arrêterait ou les traverserait pendant sa lutte avec le serpent sacré Wannakoë, servir d’indice à l’Indienne pour baser ses prédictions sur les bonnes ou sur les mauvaises chances de la guerre contre les blancs.

Ces préparatifs terminés, Zam-Zam appela d’une voix haute : Hay-Soy !

La porte de la case s’ouvrit.

Un jeune nègre de vingt ans environ, vêtu d’un caleçon rouge, entra. Zam-Zam poussa un cri particulier ; la porte fut fermée en dehors.

Le noir, victime de cette effrayante épreuve, était dans un état d’agitation violente. Sa poitrine, sur laquelle il tenait ses deux bras croisés, s’élevait et s’abaissait rapidement ; un tremblement convulsif agitait ses membres ; ses yeux hagards, et si démesurément ouverts qu’un cercle blanc entourait leur noire prunelle, se portaient alternativement de Zam-Zam à Baboün-Knify avec une expression de terreur profonde.

Adossé à la porte, il n’osait faire un pas.


Hercule Hardi.

— Approche… approche, lui dit la sorcière ; Mama-Jumboë, le grand esprit, a dit que l’épreuve du serpent serait faite par toi… Es-tu prêt à mourir, si tu dois mourir ?

— Je suis prêt à mourir… répondit le nègre en reprenant quelque assurance ; j’ai enterré mon fusil, mon couteau, mon arc et ma hache.

— Ceux de ta tribu ont-ils chanté sur toi leur chant de mort ? reprit l’Indienne.

— Je me suis assis comme on asseoit les morts, la tête courbée sur mes genoux, mon menton entre les paumes de mes mains, pendant que ceux de ma tribu chantaient le chant de mort : « Il a pris la terre humide pour femme, et les ténèbres seront ses enfants. »

— Mama-Jumboë a dit, par la voix du sort, que tu serviras d’épreuve au serpent sacré Wannakoë…, dit la sorcière. Le veux-tu ? Si tu meurs, ceux de ta tribu crieront ton nom, comme cri de guerre, en attaquant leurs ennemis… Ils orneront ta tombe des chevelures des vaincus… Après des années d’années, les petits-fils des fils de ceux de ta tribu parleront encore de toi dans leurs kraals ; ils diront à leurs enfants qu’Hay-Soy a été choisi par Mama-Jumboë pour annoncer à ses frères s’ils devaient aller attaquer les visages pâles ou attendre leur attaque… Veux-tu subir librement l’épreuve ? le veux-tu ?

La glorieuse énumération des avantages qui devaient récompenser son dévouement sembla faire une vive impression sur le nègre. Sa contenance parut plus ferme, plus résolue.

Il leva ses bras en l’air avec un mouvement de défi et d’exaltation, et s’écria : Mama-Jumboë… ! Mama-Jumboë ! j’attends le serpent noir !

Baboün-Knify frappa précipitamment sur sa cymbale de cuivre en s’approchant de la boîte où était renfermé le reptile, en appelant :

Wannakoë ! Wannakoë !

On entendit celui-ci s’agiter violemment.

Il faisait trembler le couvercle de sa boîte sous les coups sourds qu’il donnait pour en sortir.

— Le serpent sacré va sortir… il sera furieux ; une dernière fois, veux-tu servir librement d’épreuve devant Mama-Jumboë ? dit la sorcière, en s’abaissant et tenant son doigt prêt à ouvrir le grillage qui devait donner passage au reptile.

Le nègre eut un moment d’hésitation.

Zam-Zam, lui montrant la porte, lui dit d’un air sombre :

— Tu es encore libre de refuser l’épreuve, quoique le sort t’ait choisi… Mais ceux de la tribu t’attendent au dehors… Si tu as été lâche… si tu as refusé de subir le destin que Mama-Jumboë t’envoie…, ils demanderont ta mort… Au lieu d’avoir le tombeau et le renom d’un guerrier, on arrosera ta tombe de lait de brebis. Ton nom sera une injure… les mères apprendront à leurs enfants à te maudire.

Ces derniers mots de Zam-Zam émurent profondément le nègre, et il s’écria aussitôt :

— Mama-Jumboë l’ordonne ! je veux le serpent noir ! le serpent noir !