Page:Sue - Kernok le pirate, extrait de Le Roman no 697-706, 1880.djvu/27

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« Enfin, enfin, c’est heureux ! s’écria-t-il, le voici ; oui, c’est bien lui… Quels coups d’avirons, comme ils nagent ! Allons, ferme, bravo, mes garçons ! doublez, doublez, et nous pourrons profiter de la brise et de la marée ! » Et maître Zéli, oubliant qu’il était difficile de l’entendre à deux portées de canon, encourageait de la voix et du geste les matelots qui ramenaient à bord Kernok et son compagnon.

Enfin, l’embarcation qu’ils montaient atteignit le brick et aborda à tribord. Maître Zéli courut à l’échelle donner le coup de sifflet qui annonçait la présence du capitaine, et, son chapeau à la main, se disposa à le recevoir.

Kernok monta avec agilité le long du brick et sauta sur le pont.

Le maître fut frappé de sa pâleur et de l’altération de ses traits. Sa tête nue, ses habits en désordre, la gaine sans poignard qui pendait à sa ceinture, tout annonçait un événement extraordinaire. Aussi Zéli n’eut-il pas le courage de reprocher à son capitaine une absence trop prolongée, et c’est avec un air d’intérêt respectueux qu’il s’approcha de lui.

Kernok embrassa le brick d’un regard rapide et vit à l’instant si tout était en ordre.

« Maître, dit-il à Zéli d’une voix impérieuse et dure, à quelle heure est le flot ?

— À deux heures un quart, capitaine.

— Si la brise ne mollit pas, nous appareillerons à deux heures et demie. Faites hisser le pavillon et tirer le coup de canon de partance ; virez au cabestan, désaffourchez, et quand les ancres seront à pic, vous me préviendrez. Où est le lieutenant, le reste de l’équipage ?

— À terre, capitaine.

— Envoyez les embarcations les chercher. Celui qui ne sera pas à bord à deux heures aura vingt coups de corde et huit jours de fers sur un parc à boulet. Allez ! » Jamais Zéli n’avait vu à Kernok un air si rude et si sévère. Aussi, contre son habitude, il ne fit pas une