Page:Sue - Kernok le pirate, extrait de Le Roman no 697-706, 1880.djvu/29

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son brick ; et il n’envoyait pas un boulet à l’ennemi qu’il ne se souvînt de sa maîtresse. Il fallait bien qu’il l’aimât, puisqu’il lui permettait de toucher à son excellent poignard de Tolède et à ses bons pistolets anglais. Que dirais-je de plus, c’est à elle qu’il confiait la garde de sa provision particulière de vin et d’eau-de-vie !

Mais ce qui prouvait plus que tout l’amour de Kernok, c’était une large et profonde cicatrice que Mélie portait au col. Cela provenait d’un coup de couteau que le pirate lui avait donné dans un mouvement de jalousie. Or, comme il faut toujours juger de la force de l’amour par la violence de la jalousie, on voit que Mélie devait passer des jours filés d’or et de soie auprès de son doux maître.

Elle descendit avec lui.

En entrant dans sa chambre, Kernok se jeta sur un fauteuil, et cacha sa tête dans ses mains, comme pour échapper à une vision funeste.

Il avait surtout frémi en apercevant la fenêtre par laquelle son défunt capitaine était tombé à la mer, comme chacun sait.

Mélie le considérait avec douleur ; puis, elle s’approcha timidement, s’agenouilla en prenant une de ses mains, qu’il lui abandonna : « Kernok, qu’avez-vous ? votre main est brûlante. » Cette voix le fit tressaillir : il leva la tête, sourit amèrement, et jetant son bras autour du cou de la jeune mulâtresse, il la pressa contre lui ; sa bouche effleurait sa joue, lorsque ses lèvres rencontrèrent la fatale cicatrice.

« Enfer ! malédiction sur moi ! s’écria-t-il avec violence. Maudite vieille, sorcière infernale, où a-t-elle appris ? … »

Et il fut pour respirer à la croisée ; mais, comme repoussé par une force invincible, il s’en éloigna avec horreur, et s’appuya sur le bord de son lit.