Page:Sue - Kernok le pirate, extrait de Le Roman no 697-706, 1880.djvu/33

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« Calmez-vous, Kernok, dit Mélie timidement.

Comment vous trouvez-vous maintenant ?

— Mais bien, très bien. Cordieu ! ces deux heures de sommeil ont suffi pour me calmer et chasser les idées sottes que cette maudite sorcière m’avait fourrées dans la tête. Allons, allons, la brise fraîchit, nous allons sortir du port. Aussi bien, que faisons-nous là, tandis qu’il y a des trois-mâts dans la Manche, des galions dans le golfe de Gascogne, et de riches navires portugais dans le détroit de Gibraltar ?

— Comment ! vous partirez aujourd’hui, un vendredi ?

— Écoute bien ce que je vais te dire, ma bien-aimée : j’aurais dû te châtier d’importance pour m’avoir décidé par tes supplications à aller entendre les rêveries d’une folle. Je t’ai pardonné ; mais ne me romps pas davantage les oreilles de ton bavardage, sinon…

— Ses prédictions sont-elles donc sinistres ?

— Ses prédictions ! j’en fais cas comme de ça…

Seulement, ce que je puis lui prédire, moi, à la vieille chouette, et tu verras si je me trompe, c’est qu’à ma première relâche à Pempoul, j’irai avec une douzaine de gabiers lui rendre une visite dont elle se souviendra ; que la foudre m’écrase s’il reste une pierre de sa cassine, et si je ne lui rends pas le dos de la couleur de l’arc-en-ciel !

— Ne parlez pas ainsi d’une femme à seconde vue, par pitié ! ne partez pas aujourd’hui ; tout à l’heure un goéland noir et blanc voltigeait au-dessus du brick en poussant des cris aigus ; c’est d’un mauvais présage… ne partez pas ! »