Page:Sue - Kernok le pirate, extrait de Le Roman no 697-706, 1880.djvu/37

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ensemble. — Je comprends, dit Lescoët en pâlissant ; et combien ?

— Une misère.

— Mais encore ? On aime à savoir.

— Tu verras ; on ne te fera tort de rien ; d’ailleurs, tu compteras.

— Je me vengerai.

— On dit toujours cela avant, et puis après, on n’y pense pas plus qu’à la brise de la veille. Allons, mon garçon, dépêchons ; car je vois le capitaine qui s’impatiente, et il pourrait vouloir me faire goûter de la même sauce. » Et on attacha Lescoët sur une échelle de haubans, les bras élevés, le dos nu jusqu’à la ceinture.

« On est prêt », dit maître Zéli. Kernok fit un signe, la garcette siffla et retentit sur le dos de Lescoët. Jusqu’au sixième coup il se comporta fort décemment ; on n’entendait qu’une espèce de gémissement sourd qui accompagnait chaque coup de corde. Mais au septième le courage l’abandonna, et, au fait, il devait souffrir beaucoup, car chaque coup laissait sur son corps un sillon rouge qui devenait aussitôt bleu et blafard ; puis l’épiderme s’enleva, la chair était vive et saignante. Il paraît que la torture devint intolérable, puisqu’un état d’affaissement général remplaça l’irritation convulsive qui jusque-là avait soutenu Lescoët.

« Il se trouve mal », dit Zéli, la garcette levée.

Alors M. Durand, le canonnier-chirurgien-charpentier du bord, s’approcha, tâta le pouls du patient ; puis, grimaçant une espèce de moue, il leva les épaules et fit un mouvement significatif à maître Zéli.

La garcette joua de nouveau, mais le son qu’elle rendait n’était plus sec et éclatant comme lorsqu’elle retombait sur une peau lisse et polie, mais sourd et mat comme le bruit d’une corde qui frapperait une boue épaisse.