Page:Sue - Kernok le pirate, extrait de Le Roman no 697-706, 1880.djvu/71

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si brutalement voulurent se conduire en gens canonisés. Des hommes auraient puni le téméraire, des demi-dieux vinrent à son secours, montrant par là combien leur essence éthérée était supérieure à nos intelligences étroites et rancunières.

Aussi, à peine Kernok eut-il terminé sa singulière et effrayante invocation, que, frappé d’une idée subite, d’une idée d’en haut peut-être, il s’écria en rugissant de joie :

« Les piastres !… cordieu, mes garçons, les piastres !… chargeons-en nos pièces jusqu’à la gueule ; cette mitraille-là vaut bien l’autre.

L’Anglaise veut de la monnaie, elle en aura, et de la toute chaude, qui, en sortant de nos canons, ressemblera plutôt à des lingots de bronze qu’à de bonnes gourdes d’Espagne. Les piastres sur le pont ! .., les piastres ! » Cette idée électrisa l’équipage. Maître Durand se précipita dans la soute, et l’on roula sur le pont trois barils d’argent, cent cinquante mille livres environ.

« Hourra ! Mort aux Anglais ! » crièrent les dix-neuf pirates qui restaient en état de combattre, noirs de poudre et de fumée, et nus jusqu’à la ceinture pour manœuvrer plus à l’aise.

Et une sorte de joie féroce et délirante les exalta.

« Les chiens d’Anglais ne chanteront pas que nous sommes avares, dit l’un ; car cette mitraille-là va bien payer le chirurgien qui les pansera.

— On voit que nous nous battons avec une dame.

Sacredieu ! quelle galanterie ! des boulets d’argent !… On soigne la corvette, dit un autre.

— Je ne demanderais qu’une gargousse comme ça de haute paye, pour m’amuser à Saint-Pol », reprit un troisième. Et de fait, on jetait l’argent à poignée dans les caronades, on les en gorgeait. Cinquante mille écus y passèrent.