Page:Sue - Kernok le pirate, extrait de Le Roman no 697-706, 1880.djvu/79

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vous n’êtes pas tendres, mes agneaux… Vous serez joliment coriaces, et pour vous avaler il faudra une fameuse sauce… » Sa langue devint alors tellement embarrassée, qu’il fut impossible d’entendre un mot. Cinq minutes après il était mort. Le Parisien avait deviné juste : il est impossible de rendre les imprécations et les malédictions dont Kernok et le reste de l’équipage furent accablés. Un blessé anglais, qui comprenait le français, fit part à ses compatriotes de la destinée qui les attendait. La rumeur augmenta. Chacun jurait et blasphémait dans sa langue. C’était un bruit ! un bruit ! à réveiller un chanoine. Mais tous ces malheureux étaient trop grièvement blessés pour pouvoir se lever ; et, d’ailleurs, pas d’embarcations…

Il y en eut plusieurs qui se roulèrent près de la coupée des bastingages, et se laissèrent tomber à la mer, prévoyant toute l’horreur du sort qui était réservé à leurs compagnons.

« C’est fait ! dit maître Durand à Kernok, dès qu’il fut de retour.

— Nous sommes parés, répondit Kernok ; la brise fraîchit du sud. Avec cette misaine pour grand-voile, et les perroquets au lieu de huniers, nous pouvons faire route. Oriente grand largue et mets le cap au nord-nord-est.

— Ainsi, dit maître Durand en montrant la corvette qui se balançait désemparée, ces pauvres diables, nous les laissons là ?

— Oui…, répondit Kernok.

— C’est tout de même un procédé peu délicat.

— Ah ! vrai… Sais-tu ce qui nous reste de vivres à bord, grâce à la fête que je vous ai donnée, sauvages ?

— Non.

— Eh bien ! il nous reste un