Page:Sue - Kernok le pirate, extrait de Le Roman no 697-706, 1880.djvu/78

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disaient les blessés, assez forts pour crier, mais non pour marcher, en voyant le chirurgien-canonnier-charpentier descendre dans son canot et regagner le brick avec son équipage.

« Oui, le plus souvent que c’est pour nous faire changer d’air qu’on nous envoie ici, » dit un Parisien qui avait un bras de moins et un biscaïen dans la colonne vertébrale.

« Eh bien ! pourquoi nous y envoie-t-on, Parisien ? demandèrent plusieurs voix avec inquiétude.

— Pourquoi ?… dans le but de nous faire crever, pendant qu’ils profiteront de nos parts de prise.

Comme c’est malin ! Seulement, s’ils avaient eu pour deux liards de cœur, ils auraient fait une trouée dans la cale pour nous couler… au lieu de laisser ici de bons enfants s’entre-dévorer comme des requins. Ça sera dans le genre du Colin que j’ai vu au Mont-Thabor chez M. Franconi — ici sa voix commence à s’affaiblir — car je viens de leur entendre dire qu’il ne restait pas de vivres à bord de la corvette, et que c’est en partie pour s’en procurer qu’elle nous avait donné la chasse. C’est vexant tout de même de mourir quand on est riche ; car, avec ma part de prise, je m’en serais joliment donné à Paris… Dieu ! la Chaumière, le Vauxhall, l’Ambigu… et les demoiselles ! ! ! Ah ! oui, c’est vexant ; car maintenant le temps de nouer une garcette, et je serai cuit… je ne sens déjà plus mes jambes, et puis on dirait que mon cœur se retourne… Adieu, les autres. C’est pour vous que ça va être sciant… car