Page:Sue - Kernok le pirate, extrait de Le Roman no 697-706, 1880.djvu/81

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

chienne de nourriture. Ça vous tente, n’est-ce pas, tas de lascars que vous êtes ; au lieu qu’en tâchant de rallier Bayonne ou Bordeaux, nous pouvons revoir la France et y vivre en bons bourgeois avec notre part de prise, qui ne sera pas mince, puisqu’elle sera augmentée de la leur… », ajouta Kernok en désignant les blessés de la corvette.

Cet argument calma victorieusement les derniers scrupules des récalcitrants.

« Enfin, dit Kernok, ce sera comme ça, parce que je le veux ; est-ce clair, hein ? Et le premier qui ouvre la bouche, je la lui fermerai, moi, avec la coquille de mon poignard. Allons, cordieu ! courons grand largue une bordée au nord. » Les dix-huit hommes qui composaient alors l’équipage obéirent en silence, jetèrent un dernier regard sur leurs compagnons, leurs frères, qui poussaient des cris affreux en voyant le brick s’éloigner. Puis, comme la brise fraîchit beaucoup, L’Épervier fut bientôt loin du lieu du combat. Mais le lendemain une horrible tempête s’éleva, d’énormes montagnes d’eau semblaient à chaque minute devoir submerger le brick, qui, ayant mis à la cape, fuyait devant le temps sous sa pouillouse.

Enfin, après une traversée pénible, L’Épervier atteignit Nantes, y relâcha pour réparer ses avaries, et, suivant les vœux de Kernok, reprit la mer pour venir mouiller encore une fois dans la baie de Pempoul.

Là, une commission d’enquête fut fourrée pour vérifier la légalité de la prise. Alors Kernok jura tous ses jurons qu’il irait désormais débarquer à Saint-Thomas, puisque ces cormorans d’administrateurs venaient pêcher dans ses eaux ! Ce furent ses propres expressions.


CHAPITRE XIII
Les deux amis

Une âme si rare et exemplaire
ne couste-t-elle non plus à tuer
qu’une âme populaire et inutile ?

Montaigne, liv. Il, chap. XIII.

C’est une bonne auberge que l’auberge de L’Ancre d’or, à Plonezoch. Près de la porte s’élèvent deux beaux chênes verts et touffus, qui ombragent des tables de noyer toujours engageantes, tant elles sont soigneusement