Page:Sue - Kernok le pirate, extrait de Le Roman no 697-706, 1880.djvu/82

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cirées ; et comme L’Ancre d’or est placée sur la grande place, il n’y a pas de coup d’œil plus animé, surtout à l’heure du marché, par une belle matinée de juillet.

Aussi deux honnêtes compagnons, deux appréciateurs de cette heureuse localité avaient pris racine devant une de ces tables si luisantes et si polies ; ils causaient de choses et d’autres, et la conversation devait durer depuis longtemps, car un bon nombre de bouteilles vides formaient un imposant et diaphane rempart autour des interlocuteurs.

L’un, pouvant bien avoir soixante ans, fort laid, fort bon, fort trapu, avait de larges et longs favoris tout blancs, qui tranchaient d’une manière bizarre avec son teint basané. Il était vêtu d’un vaste habit bleu grotesquement taillé, d’un large pantalon de toile et d’un gilet d’écarlate aux blutons à ancres, trop court au moins de six pouces ; enfin un immense col de chemise roide et empesé se dressait menaçant bien au-dessus des oreilles de ce personnage. En outre, de larges boucles d’argent brillaient à ses souliers, et un chapeau verni, impertinemment posé sur le côté de sa tête, achevait de lui donner un air crâne et coquet qui contrastait singulièrement avec son âge avancé. Au reste, il était évidemment en toilette et paraissait gêné dans ses atours.

Son ami, d’une mise moins recherchée, paraissait beaucoup plus jeune. Une veste et un pantalon de drap composaient toute sa parure, et une cravate noire, nouée négligemment, permettait de voir son cou nerveux qui supportait une figure hâlée, mais riante et ouverte. « Vienne la Saint-Saturnin, dit-il en frappant légèrement le fourneau de sa pipe sur la table pour en faire sortir toute la cendre, vienne la Saint Saturnin,