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Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 1-2.djvu/119

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fait prisonnier, il avait sabré des canonniers prussiens jusque sur leurs canons. Avec ce courage et cette force-là, comment voulez-vous qu’on ne soit pas bon ?… Il y a donc environ dix-neuf ans, qu’ici près… à l’endroit que je vous ai montré, avant d’arriver dans ce village, le général, dangereusement blessé, est tombé de cheval… je le suivais comme son ordonnance, j’ai couru à son secours. Cinq minutes après, nous étions faits prisonniers, par qui ?… par un Français !

— Un Français ?

— Oui, un marquis émigré, colonel au service de la Russie, répondit Dagobert avec amertume. Aussi, quand ce marquis a dit au général, en s’avançant vers lui : « Rendez-vous, monsieur, à un compatriote… — Un Français qui se bat contre la France n’est plus mon compatriote, c’est un traître, et je ne me rends pas à un traître, » a répondu le général, et, tout blessé qu’il était, il s’est traîné auprès d’un grenadier russe, lui a remis son sabre en disant : « Je me rends à vous, mon brave. » Le marquis en est devenu pâle de rage…

Les orphelines se regardèrent avec orgueil, un vif incarnat colora leurs joues, et elles s’écrièrent :

— Oh ! brave père, brave père !…