Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 1-2.djvu/49

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j’ai porté votre père au pied de cet arbre… il avait deux coups de sabre sur la tête… un coup de feu à l’épaule… c’est ici que lui et moi, qui avais deux coups de lance pour ma part, nous avons été faits prisonniers… et par qui encore ? par un renégat… oui, par un Français, un marquis émigré, colonel au service des Russes… et qui plus tard… Enfin un jour… vous saurez tout cela…

Puis après un silence, le vétéran, montrant du bout de son bâton le village de Mockern, ajouta :

— Oui… oui, je m’y reconnais, voilà les hauteurs où votre brave père, qui nous commandait, nous et les Polonais de la garde, a culbuté les cuirassiers russes après avoir enlevé une batterie… Ah ! mes enfants, ajouta naïvement le soldat, j’aurais voulu que vous le voyiez, votre brave père, à la tête de notre brigade de grenadiers à cheval, lancer une charge à fond au milieu d’une grêle d’obus ! il n’y avait rien de beau comme lui.

Pendant que Dagobert exprimait à sa manière ses regrets et ses souvenirs, les deux orphelines, par un mouvement spontané, se laissèrent légèrement glisser de cheval, et, se tenant par la main, allèrent s’agenouiller au pied du vieux chêne.