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Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 1-2.djvu/553

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vaires avait motivé un grand nombre d’arrestations préventives, et la découverte de plusieurs exemplaires de son chant du Travailleur affranchi, faite chez l’un des chefs de ce complot avorté, devait en effet compromettre passagèrement le jeune forgeron ; mais, on l’a dit, son père ne soupçonnait pas ses angoisses.

Assis à côté de son fils, sur le bord de leur mince couchette, le soldat qui, dès l’aube du jour, s’était vêtu et rasé avec son exactitude militaire, tenait entre ses mains les deux mains d’Agricol ; sa figure rayonnait de joie ; il ne pouvait se lasser de le contempler.

— Tu vas te moquer de moi, mon garçon, lui disait-il, mais je donnais la nuit au diable pour te voir au grand jour… comme je te vois maintenant… À la bonne heure… je ne perds rien… Autre bêtise de ma part, ça me flatte de te voir porter moustaches. Quel beau grenadier à cheval tu aurais fait !… Tu n’as donc jamais eu envie d’être soldat ?

— Et ma mère ?…

— C’est juste ; et puis, après tout, je crois, vois-tu, que le temps du sabre est passé. Nous autres vieux, nous ne sommes plus bons qu’à mettre au coin de la cheminée, comme une vieille carabine rouillée ; nous avons fait notre temps.