Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 1-2.djvu/75

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fronça les sourcils, tourna la tête à demi, jeta sur le Prophète un regard de travers et ne répondit rien.

Étonné de ce silence, Morok reprit :

— Je ne me trompe pas… vous êtes Français, mon brave ; ces mots que je vois tatoués sur vos bras le prouvent de reste ; et puis, à votre figure militaire, on devine que vous êtes un vieux soldat de l’empire. Aussi, je trouve que pour un héros… vous finissez un peu en quenouille.

Dagobert resta muet, mais il mordilla sa moustache du bout des dents, et imprima au morceau de savon dont il frottait le linge un mouvement de va-et-vient des plus précipités, pour ne pas dire des plus irrités ; car la figure et les paroles du dompteur de bêtes lui déplaisaient plus qu’il ne voulait le laisser paraître. Loin de se rebuter, le Prophète continua :

— Je suis sûr, mon brave, que nous n’êtes ni sourd ni muet ; pourquoi donc ne voulez-vous pas me répondre ?

Dagobert, perdant patience, retourna brusquement la tête, regarda Morok entre les deux yeux et lui dit d’une voix brutale :

— Je ne vous connais pas ; je ne veux pas vous connaître : donnez-moi la paix…

Et il se remit à sa besogne.