Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 3-4.djvu/194

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sommes-nous pas ici au milieu d’amis qui nous aiment ? Comment supposer que nous soyons jamais abandonnées seules dans Paris ? Il est impossible qu’un tel malheur nous arrive… n’est-ce pas, ma sœur ?

— Impossible !… dit Rose en tressaillant ; et si, la veille du jour de notre arrivée dans ce village d’Allemagne où ce pauvre Jovial a été tué, on nous eût dit : « Demain vous serez prisonnières… » nous aurions dit comme aujourd’hui : « C’est impossible. Est-ce que Dagobert n’est pas là pour nous protéger ? qu’avons-nous à craindre ?… » Et pourtant… souviens-toi, ma sœur, deux jours après, nous étions en prison à Leipzig…

— Oh ! ne dis pas cela, ma sœur… cela fait peur.

Et, par un mouvement sympathique, les orphelines se prirent par la main et se serrèrent l’une contre l’autre en regardant autour d’elles avec un effroi involontaire.

L’émotion qu’elles éprouvaient était en effet profonde, étrange, inexplicable… et pourtant vaguement menaçante, comme ces noirs pressentiments qui vous épouvantent malgré vous… comme ces funestes prévisions qui jettent souvent un éclair sinistre sur les profondeurs mystérieuses de l’avenir.