Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 3-4.djvu/338

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année, ainsi que tu l’as fait, ma bonne Céphyse, tu as eu plus de mérite et de courage que je n’en aurai, moi, à la supporter toute ma vie.

— Ah ! ma sœur… ne dis pas cela.

— Voyons, franchement…, reprit la Mayeux, à quelles tentations une créature comme moi est-elle exposée ? Est-ce que naturellement je ne recherche pas l’isolement et la solitude autant que tu recherches la vie bruyante et le plaisir ? Quels besoins ai-je, chétive comme je le suis ? Bien peu me suffit…

— Et ce peu… tu ne l’as pas toujours ?…

— Non… mais il est des privations que moi, débile et maladive, je puis pourtant endurer mieux que toi ;… ainsi, la faim me cause une sorte d’engourdissement… qui se termine par une grande faiblesse… Toi… robuste et vivace… la faim t’exaspère… te donne le délire !… Hélas ! tu t’en souviens ?… combien de fois je t’ai vue en proie à ces crises douloureuses… lorsque dans notre triste mansarde… ensuite d’un chômage de travail… nous ne pouvions pas même gagner nos quatre francs par semaine, et que nous n’avions rien… absolument rien à manger… car notre fierté nous empêchait de nous adresser aux voisins !…

— Cette fierté-là, au moins tu l’as conservée, toi !