Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 3-4.djvu/339

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— Et toi aussi… n’as-tu pas lutté autant qu’il est donné à une créature humaine de lutter ?… Mais les forces ont un terme… je te connais bien, Céphyse… c’est surtout devant la faim que tu as cédé… devant la faim et cette pénible obligation d’un travail acharné qui ne te donnait pas même de quoi subvenir aux plus indispensables besoins…

— Mais toi… ces privations, tu les endurais, tu les endures encore.

— Est-ce que tu peux me comparer à toi ? Tiens, dit la Mayeux en prenant sa sœur par la main et la conduisant devant une glace posée au-dessus d’un canapé, regarde-toi… Crois-tu que Dieu, en te faisant si belle, en te douant d’un sang vif et ardent, d’un caractère joyeux, remuant, expansif, amoureux du plaisir, ait voulu que ta jeunesse se passât au fond d’une mansarde glacée, sans jamais voir le soleil, clouée sur ta chaise, vêtue de haillons, et travaillant sans cesse et sans espoir ? Non, car Dieu nous a donné d’autres besoins que ceux de boire et de manger. Même dans notre humble condition, la beauté n’a-t-elle pas besoin d’un peu de parure ? La jeunesse n’a-t-elle pas besoin de mouvement, de plaisir et de gaieté ? Tous les âges n’ont-ils pas besoin de distractions et de repos ? Tu aurais gagné un salaire