Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/28

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de long en large dans la chambre, d’un air méditatif, sans discontinuer de ronger ses ongles.

— Il m’est cruel, ajouta le père d’Aigrigny, d’être obligé de vous rappeler, mon cher fils, que vous nous devez l’éducation que vous avez reçue.

— Tels étaient ses fruits, mon père, reprit Gabriel. Jusqu’alors… j’avais épié les autres enfants avec une sorte de désintéressement… mais les ordres du supérieur m’avaient fait faire un pas de plus dans cette voie indigne… J’étais devenu délateur pour échapper à une punition méritée… Et telles étaient ma foi, mon humilité, ma confiance, que je m’accoutumai à remplir avec innocence et candeur un rôle doublement odieux ; une fois, cependant, je l’avoue, tourmenté par de vagues scrupules, derniers élans des aspirations généreuses qu’on étouffait en moi, je me demandai si le but charitable et religieux que l’on attribuait à ces délations, à cet espionnage continuel, suffisait pour m’absoudre ; je fis part de mes craintes au supérieur ; il me répondit que je n’avais pas à discerner, mais à obéir, qu’à lui seul appartenait la responsabilité de mes actes.

— Continuez, mon cher fils, dit le père d’Aigrigny, cédant malgré lui à un profond acca-