Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/30

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tuels, et, je l’espère, nous raffermirons votre foi malheureusement ébranlée, nous dissiperons les ténèbres qui sont venues obscurcir votre vue… car, hélas ! mon cher fils, dans votre illusion, vous aurez pris quelques lueurs trompeuses pour le pur éclat du jour… Continuez.

Pendant que le père d’Aigrigny parlait ainsi, Rodin s’arrêta, prit un portefeuille dans sa poche, et écrivit quelques notes.

Gabriel était de plus en plus pâle et ému ; il lui fallait un grand courage pour parler ainsi qu’il parlait, car, depuis son voyage en Amérique, il avait appris à connaître le redoutable pouvoir de la compagnie ; mais cette révélation du passé, envisagée au point de vue d’un présent plus éclairé, étant pour le jeune prêtre l’excuse ou plutôt la cause de la détermination qu’il venait signifier à son supérieur, il voulait loyalement exposer toute chose, malgré le danger qu’il affrontait sciemment.

Il continua donc d’une voix altérée :

— Vous le savez, mon père, la fin de mon enfance, cet heureux âge de franchise et de joie innocente, affectueuse, se passa dans une atmosphère de crainte, de compression et de soupçonneux espionnage. Comment, hélas ! aurais-je pu me laisser aller au moindre mouvement de confiance et d’abandon, lorsqu’on me