Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/31

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recommandait à chaque instant d’éviter les regards de celui qui me parlait, afin de mieux cacher l’impression qu’il pouvait me causer par ces paroles, de dissimuler tout ce que je ressentais, de tout observer, tout écouter autour de moi ? J’atteignis ainsi l’âge de quinze ans ; peu à peu les très-rares visites que l’on permettait de me rendre, mais toujours en présence de l’un de nos pères, à ma mère adoptive et à mon frère, furent supprimées, dans le but de fermer complètement mon cœur à toutes les émotions douces et tendres. Morne, craintif, au fond de cette grande maison triste, silencieuse, glacée, je sentis que l’on m’isolait de plus en plus du monde affectueux et libre ; mon temps se partageait entre des études mutilées, sans ensemble, sans portée, et de nombreuses heures de pratiques minutieuses et d’exercices dévotieux. Mais, je vous le demande, mon père, cherchait-on jamais à échauffer nos jeunes âmes par des paroles empreintes de tendresse et d’amour évangélique ?… Hélas ! non… À ces mots adorables du divin Sauveur : Aimez-vous les uns les autres, on semblait avoir substitué ceux-ci : Défiez-vous les uns des autres… Enfin, mon père, nous disait-on jamais un mot de la patrie ou de la liberté ? Non… oh ! non, car ces mots-là font battre le cœur, et il ne faut