Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/310

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Dizier ; et puis, si par hasard nous poursuivions tous deux le même but, quoique par des moyens divers, reprit finement Rodin en regardant mademoiselle de Cardoville d’un air d’intelligence, pourquoi nos convictions ne seraient-elles pas les mêmes ?

— Je ne vous comprends pas… monsieur… De quel but voulez-vous donc parler ?…

— Du but que tous les esprits élevés, généreux, indépendants poursuivent incessamment… les uns agissant comme vous, ma chère demoiselle, par passion, par instinct, sans se rendre compte peut-être de la haute mission qu’ils sont appelés à remplir. Ainsi, par exemple, lorsque vous vous complaisez dans les délices les plus raffinées, lorsque vous vous entourez de tout ce qui charme vos sens… croyez-vous ne céder qu’à l’attrait du beau, qu’à un besoin de jouissances exquises ?… Non, non, mille fois non… car alors vous ne seriez qu’une créature incomplète, odieusement personnelle, une sèche égoïste d’un goût très-recherché… rien de plus… et à votre âge, ce serait hideux, ma chère demoiselle, ce serait hideux.

— Monsieur, ce jugement si sévère… le portez-vous donc sur moi ? dit Adrienne avec inquiétude, tant cet homme lui imposait déjà malgré elle.