Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 5-6.djvu/32

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pas que le cœur batte… À nos heures d’étude et de pratique, succédaient, pour unique distraction, quelques promenades à trois… jamais à deux, parce qu’à trois la délation mutuelle est plus praticable[1], et parce qu’à deux l’intimité s’établissant plus facilement, il pourrait se nouer de ces amitiés saintes, généreuses, qui feraient encore battre le cœur, et il ne faut pas que le cœur batte… Aussi, à force de le comprimer, est-il arrivé un jour où je n’ai plus senti ; depuis six mois, je n’avais vu ni mon frère ni ma mère adoptive ;… ils vinrent au collège… Quelques années auparavant, je les aurais accueillis avec des élans de joie mêlés de larmes… Cette fois mes yeux restèrent secs, mon cœur froid ; ma mère et mon frère me quittèrent éplorés ; l’aspect de cette douleur pourtant me frappa… j’eus alors conscience et horreur de cette insensibilité glaciale qui m’avait gagné depuis que j’habitais cette tombe. Épouvanté, je voulus en sortir pendant que j’en avais encore la force… Alors je vous parlai, mon père, du choix d’un état… car pendant ces quel-

  1. La rigueur de cette disposition est telle dans les collèges des jésuites, que si trois élèves se promènent ensemble, et que l’un des trois quitte un instant ses camarades, les deux autres sont obligés de s’éloigner l’un de l’autre, hors de portée de voix, jusqu’au retour du troisième.