Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 7-8.djvu/237

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tournure et dont l’agonie ne manquait pas de chic !

— Messieurs ! s’écria un sculpteur non moins célèbre, résumons la question. Le choléra est un détestable coloriste, mais c’est un crâne dessinateur… il vous anatomise la charpente d’une rude façon ; tudieu ! comme il vous décharne ! Auprès de lui Michel-Ange ne serait qu’un écolier.

— Accordé… cria-t-on tout d’une voix. Le choléra peu coloriste… mais crâne dessinateur !

— Du reste, messieurs, reprit Nini-Moulin avec une gravité comique, il y a dans ce fléau une polissonne de leçon providentielle… comme dirait le grand Bossuet…

— La leçon ! la leçon !

— Oui, messieurs… il me semble entendre une voix d’en haut qui nous crie : « Buvez du meilleur, videz votre bourse et embrassez la femme de votre prochain… car vos heures sont peut-être comptées… malheureux ! »

Ce disant, le Silène orthodoxe profita d’un moment de distraction de mademoiselle Modeste, sa voisine, pour cueillir sur la joue fleurie de l’Amour un gros et bruyant baiser.

L’exemple fut contagieux, un vrai cliquetis de baisers vint se mêler aux éclats de rire.

— Tubleu ! vertubieu ! ventredieu ! s’écria le grand peintre en menaçant gaiement Nini-