Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 9-10.djvu/192

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De là venait la tristesse croissante de Rose et de Blanche ; de là, une sorte de crainte, de réserve, qui, malgré elles, comprimait l’expansion de leur tendresse filiale ; embarras douloureux que le maréchal, aussi abusé par ces apparences inexplicables pour lui, prenait à son tour pour de la tiédeur ; alors son cœur se brisait, sa loyale figure trahissait une peine amère, et souvent, pour cacher ses larmes, il quittait brusquement ses enfants.

Et les orphelines, atterrées, se disaient :

— Nous sommes cause des chagrins de notre père ; c’est notre présence qui le rend si malheureux.

Que l’on juge maintenant du ravage qu’une telle pensée, fixe, incessante, devait apporter dans ces deux jeunes cœurs aimants, timides et naïfs. Comment les orphelines se seraient-elles défiées de ces avertissements anonymes, qui parlaient avec vénération de tout ce qu’elles aimaient, et qui d’ailleurs semblaient chaque jour justifiés par la conduite de leur père envers elles ? Déjà victimes de trames nombreuses, ayant entendu dire qu’elles étaient environnées d’ennemis, on conçoit que, fidèles aux recommandations de leur ami inconnu, elles n’avaient jamais fait confidence à Dagobert de ces écrits où le soldat était si justement apprécié.