gna un bois de sapins, d’où il épia le départ de son cousin et de sa tante, qui vinrent s’informer des nouvelles de Jeane et prendre congé de madame Dumirail.
Bientôt les San-Privato montèrent dans le char avec M. Dumirail. Le courrier, les devançant au galop, fut chargé d’aller prévenir le valet de chambre d’Albert de tout préparer pour son départ immédiat.
Charles Delmare, sentant l’urgence de sa présence auprès de Jeane et de Maurice, se hâtait de retourner au chalet après avoir accompagné M. Dumirail jusqu’au char, lorsque San-Privato lui dit avec courtoisie :
— Est-ce que nous aurons le plaisir de redescendre au Morillon avec M. Delmare ?
— En effet, — ajouta M. Dumirail s’adressant au père de Jeane, — voici bientôt le soleil couché… la lune se lève très-tard, et, si vous attendez ici la fin du jour, vous serez obligé de redescendre au Morillon en pleine nuit, car il n’y a pas de lit pour vous au chalet.
— Vous le voyez, monsieur Delmare, — ajouta San-Privato en souriant, — il faut vous résigner à la nécessité… Nous aurons donc, ainsi que je l’espérais, l’agrément de faire la route avec vous, et, je l’avoue, il m’en eût trop coûté de renoncer à l’honneur de votre compagnie.
Charles Delmare comprit la menace cachée sous la politesse de San-Privato et monta près de lui dans le chariot, tournant ainsi le dos à M. Dumirail et à sa sœur, assis de l’autre côté de la voiture, qui commença de descendre, au pas mesuré des bœufs, les pentes sinueuses de la route du Morillon.
Madame San-Privato ne tarissait pas de triomphantes exclamations au sujet de la nomination de son fils au poste éminent auquel il venait d’être appelé. Elle cédait en cela, non moins à la vanité qu’au désir d’exaspérer l’envie de son frère et de se venger de ce qu’elle appelait sa sordide avarice ; aussi, presque à chaque instant elle répétait :
— Mon fils chargé d’affaires ! quasi ambassadeur à vingt-quatre ans ! car il remplace son ambassadeur… et représente son souverain auprès du gouvernement français, et va être en rapport direct avec le roi ! avec le ministre des affaires étrangères ! Remplir de si hautes fonctions à vingt-quatre ans, avoue, mon frère, que c’est superbe !
— Superbe !… répéta sèchement M. Dumirail, triste, rêveur et étouffant un soupir ; — superbe !