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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/369

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monsieur en lui demandant de quel droit je lui dictais les intentions qu’il me prête, et que d’ailleurs je nie.

— Je m’attendais à cette dénégation ; je rappellerai seulement à madame Dumirail que, loin d’obéir aux volontés de M. San-Privato, j’ai tout tenté, afin de hâter le mariage de Jeane et de Maurice, et de détourner M. Dumirail des projets relatifs au changement de vocation de son fils ; ma rupture avec votre mari, madame, n’a pas d’autre cause.

— Hélas ! vos prévisions ne se sont que trop réalisées ! — répondit en soupirant madame Dumirail. — Maurice, à peine arrivé à Paris, reçoit une lettre de cette baronne…

— Elle est jeune et belle sans doute, madame ?

— Jeane l’a vue à la portière de sa voiture, et elle était, dit-elle, belle à éblouir, — répondit madame Dumirail de plus en plus attentive aux paroles de Charles Delmare.

Celui-ci reprit :

— Eh bien ! madame, les provocations de cette femme, sitôt et si bien instruite de l’arrivée de Maurice à Paris, rapprochez-les des volontés que m’imposait M. San-Privato, alors qu’il prétendait me contraindre d’user de mon influence, afin de vous engager à envoyer votre fils à Paris, et dites, madame, dites si tout ne donne pas à penser que Maurice est victime d’une ténébreuse machination, tramée par l’homme que voici.

— Ah ! ce serait horrible ! s’écria madame Dumirail frappée des rapprochements signalés par Charles Delmare. — Ce matin encore, je disais à Maurice : « Cette femme jeune et timide, qui s’abandonne à vous si effrontément, doit être aussi vile que la dernière des courtisanes, ou bien elle fera de vous son jouet, sa victime peut-être… » Et il en serait ainsi, mon Dieu ! mon neveu aurait la perfidie de ?… Hélas ! ma pauvre tête s’égare au milieu de ces odieux soupçons ; mais ce qui est malheureusement certain, c’est que mon fils échappe à mon autorité, à ma tendresse ; il se perd, il est perdu !

— En vérité, ma chère tante, je ne comprends pas comment une femme de bon sens peut ajouter foi aux divagations de M. Delmare, lorsque cette réflexion si simple devrait vous venir à l’esprit… (en admettant même cette indigne calomnie, que je sois un perfide et méchant parent…) quel intérêt puis-je avoir à ce que Maurice fasse des sottises à Paris ?

— Cet intérêt, madame, vous allez le comprendre, — reprit Charles Delmare ; — M. San-Privato est amoureux de Jeane.