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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/59

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En un mot, nous ne saurions mieux caractériser la conversation de San-Privato qu’en la comparant à ces panoramas mobiles qui se déroulent rapidement sous nos yeux, nous montrent les sites les plus variés ; aussi les campagnards du Morillon, voyageant, si cela se peut dire, sur les ailes du récit de leur jeune hôte, parcoururent, en moins d’une heure, avec lui, une partie des deux mondes. Il avait pu prolonger indéfiniment l’entretien, au grand plaisir de ceux qu’il tenait sous le charme de sa parole ; mais, avec bon goût, il s’excusa de parler si longuement de lui, ou plutôt de ses voyages, ramena la conversation sur son séjour et celui de sa mère au Morillon, dans ces belles montagnes du Jura, établit un parallèle entre l’existence paisible et riante des champs, la contemplation des beautés de la nature, etc., et la vie brillante, mais factice, des cours, etc., etc., lequel parallèle se terminait par l’apologie de la vie rustique.

Tout cela fut dit en excellents termes et avec une telle apparence de conviction, qu’à l’entendre, San-Privato, s’il n’eût obéi au louable désir de parcourir une carrière où il espérait rendre quelques services à son pays, aurait regardé comme le bonheur suprême de vivre à jamais au Morillon, ainsi que son cher cousin Maurice, qu’il engageait, au nom de leur amitié d’enfance, à persévérer dans la simplicité de ses goûts.

Cet entretien, dont nous avons donné une idée sommaire, dura tout le temps du dîner, puis l’on revint au salon. Madame San-Privato, un peu fatiguée du voyage, et sachant que d’habitude son frère et sa famille se retiraient de bonne heure, témoigna le désir de regagner son appartement ; mais, avant de se séparer, l’on convint d’une partie de montagne pour le lendemain. L’on irait, après une légère collation matinale, déjeuner à un chalet situé sur un des plateaux les plus élevés du Jura, mais accessible aux chariots, madame San-Privato étant incapable d’accomplir à pied une pareille ascension. Ces divers arrangements convenus, les habitants du Morillon et leurs hôtes se séparèrent ; Charles Delmare regagna sa demeure.