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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/707

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D’Otremont, impassible. — Je n’attachai d’abord à la révélation de maître Godinot d’autre importance que celle de connaître ce fait assez curieux, à savoir : que la baronne de Hansfeld, riche de plus de deux millions de fortune, était la femme d’un pauvre avoué de province. Mais, de retour à Paris, la lumière se fit dans mon esprit : je ressentais pour vous, madame la baronne, une haine inexorable en songeant que j’avais failli tuer Maurice Dumirail en duel au profit de votre amant que voici, et qui, de la sorte, eût un jour hérité des parents de ma victime, ce malheureux Maurice, que votre détestable influence a perdu, et que vous avez indignement ruiné et, de plus, volé !… Bientôt, un âpre besoin de vengeance, né de la haine, me fit entrevoir les conséquences de ma découverte, et à ce sujet je consultai votre notaire, M. Thibaut. Sa consultation me fit bondir de joie : il m’apprenait que le mari est le libre dispensateur des revenus de sa femme.

Madame de Hansfeld, à part. — Plus de doute, malheur à moi !…

D’Otremont. — Or, vous étiez deux fois millionnaire. Maître Godinot devait donc avoir la libre disposition de vos cent mille livres de rente.

Madame de Hansfeld, bas, à San-Privato. — Je connais la sordide avarice de mon mari, je suis anéantie. Que faire ? que faire ?

San-Privato, bas. — Il faut, aujourd’hui même, dans une heure, réaliser toutes vos valeurs de portefeuille, et les mettre à l’abri.

D’Otremont. — Ai-je besoin de vous dire quelle fut ma joie, madame la baronne ? Maître Godinot, naturellement économe, plus qu’économe, selon les petites confidences qu’il m’a faites plus tard, et qui vous abhorrait ainsi que vous le méritez, devait éprouver la plus douce satisfaction à vous réduire à une portion prodigieusement congrue.

Madame de Hansfeld, à part. — Il n’est que trop vrai !… C’est horrible !…

D’Otremont. — Je songeais avec délices que maître Godinot mettrait en location ce ravissant hôtel, vendrait son magnifique mobilier, vos chevaux, vos voitures, votre splendide argenterie, chasserait votre nombreux domestique et vous emmènerait, de par la loi, dans sa triste et pauvre demeure, à Beauvais. Hélas ! il vous faudra vous résigner à vivre là en femme d’avoué de province, et à dépenser au plus douze ou quinze cents francs par année, à veiller aux soins du ménage, voire de la cuisine et du savonnage, madame la baronne, et, à l’occasion, raccommoder les chausses de maître Godinot !

Madame de Hansfeld, avec désespoir. — Mon Dieu ! mon Dieu !