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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/81

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XIV


Madame San-Privato, restée seule auprès de son fils, lui dit avec une curiosité anxieuse :

— Eh bien !… que penses-tu de notre soirée ?

— Mes avis étaient bons, il fallait les suivre ; vous faites fausse route, — répondit Albert d’une voix incisive et brève ; — Vous manquerez votre but.

— Tu t’abuses…

— Vous manquerez votre but. Nous aurions dû venir ici modestement en diligence, affecter une extrême simplicité, nous mettre autant que possible au diapason des habitudes de ma tante Dumirail, et surtout au niveau de votre situation actuelle. Vous avez pris le parti contraire, c’est une faute.

— Mieux que toi, je connais mon frère et ma belle-sœur. Il était nécessaire, afin d’obtenir ce que je désire, de leur plaire et de leur imposer à la fois ; de les rendre orgueilleux de nous, de toi surtout, voilà pourquoi j’ai insisté à te mettre en valeur. Et, si puéril que cela te semble, tes décorations ont, j’en suis certaine, produit leur effet.

— Loin de gagner la sympathie des Dumirail, vous aurez éveillé leur envie…

— Allons donc ! ces gens-là sont trop bêtement heureux pour être jaloux… et mon odieuse belle-sœur… que je hais à la mort… ne…

— Renoncez donc, ma mère, dans votre intérêt même, à ces intempérances de langage. À quoi bon dire que l’on hait les gens ?

— À soulager sa haine… Tu hausses les épaules ?… Tiens… ton sang-froid me fait bondir ! Est-ce que mon indigne belle-sœur ne m’a pas enlevé l’affection de mon frère, qui, avant son maudit mariage, ne pensait, ne voyait que par moi, était résolu à rester garçon, à te léguer ses biens, sa fortune… qui, à cette heure certainement, s’élève à plus de soixante mille livres de rente, car mon frère économise les deux tiers de ses revenus ? Qu’est-il