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Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/82

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arrivé ? Confiante dans ses promesses… et n’imaginant pas qu’il se marierait à quarante ans passés, comptant sur son héritage et ainsi rassurée sur ton avenir, je n’ai pas diminué mes dépenses… exagérées… folles… j’y consens… Mais je me disais : « Que m’importe, mon fils un jour sera riche ! » Et je n’enragerais pas à cette pensée, que ce gros butor de Maurice héritera sans doute un jour, soit de son père, soit de sa mère, de plus de quatre-vingt mille livres de rente, tandis que toi…

― Ma mère, souvent déjà, je vous ai priée, je vous prie encore de ne point vous préoccuper de ma fortune, mais de la vôtre, si l’on peut donner ce nom aux débris de votre opulence passée ; vos créanciers vous harcèlent, deviennent intraitables, vous voici réduite à vous adresser encore à la bourse de mon oncle. Vous comptez lui emprunter cinquante mille francs. Probablement, il vous les refusera, trouvant fort singulier que vous veniez en voiture de poste, accompagnée de deux domestiques, lui exposer votre dénûment.

— Et moi, je te répète que, si j’étais venue ici quasi comme une mendiante, je n’avais aucune chance d’obtenir de mon frère ce que j’en obtiendrai, j’en suis certaine, en lui imposant par un certain apparat.

— Mon oncle, en homme de bon sens, vous répondra que, lorsque l’on est dans la nécessité d’emprunter cinquante mille francs, on réduit ses dépenses au lieu de les exagérer.

— Ainsi, — reprit madame San-Privato dans son violent dépit, — ainsi vous vous rangeriez du côté de mon frère contre moi ?

— Ce que vous dites là, ma mère, est parfaitement déraisonnable.

— Oh ! certes vous êtes un prodige de raison ! toujours inflexible et glacé… Notre ami, M. de Bellerive, a fait de vous un élève digne de lui !

— Notre ami, M. de Bellerive, est un esprit positif, logique et surtout pratique ; il m’a, dès mon jeune âge, enseigné à aller droit au fond, au vif, au vrai des choses, sans m’arrêter aux semblants trompeurs que leur donnent nos intérêts, nos passions…

— Les passions ! — reprit madame San-Privato impatientée du flegme de son fils ; — oh ! certes, ce ne sont pas les passions qui vous perdront, vous !

— C’est mon ferme espoir, bien que, comme un autre, plus qu’un autre, j’aie des passions fort tenaces, fort ardentes et fort mauvaises ; mais, grâce à notre ami, j’ai le vouloir et le pouvoir d’étouffer toute passion qui ne peut s’assouvir sans péril ; je couve