Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/108

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tu trouveras dans ce cabinet un écrit que tu liras… Il t’apprendra par suite de quelle immémoriale tradition de famille… car, — ajouta M. Lebrenn en s’interrompant et en souriant, — nous autres plébéiens, nous autres conquis, nous avons aussi nos archives, archives du prolétaire souvent aussi glorieuses, crois-moi, que celles de nos conquérants… Tu verras, dis-je, par suite de quelle tradition de notre famille, à l’âge de vingt-et-un ans, le fils aîné, ou à défaut de fils, la fille aînée, ou notre plus proche parente, prend connaissance de ces archives et des divers objets qui y sont rassemblés… Maintenant, mes amis, — ajouta M. Lebrenn d’une voix émue en se levant et tendant les bras à sa femme et à ses enfants, — un dernier embrassement… Nous pouvons avant demain être passagèrement séparés… et la possibilité d’une séparation attriste toujours un peu.

Ce fut un tableau touchant… M. Lebrenn tendit les bras à ses enfants et à sa femme, qui se suspendit à son cou, pendant qu’il entourait sa fille de son bras droit et son fils de son bras gauche. Il les serra passionnément contre sa poitrine, et ceux-ci, à leur tour, enlaçaient leur mère dans une seule étreinte.

Ce groupe touchant, symbole de la famille, resta quelques moments silencieux ; on n’entendit que le bruit des baisers échangés. Puis, cette dette payée à la nature, malgré un stoïcisme puisé dans la foi à une existence éternelle, cette émotion calmée, ce groupe se délia, les têtes se redressèrent calmes, mais attendries : la mère et la fille, graves et sérieuses ; le père et le fils, tranquilles et résolus.

— Et maintenant, — reprit le marchand, — à la besogne, mes enfants… Toi, femme, tu t’occuperas avec ta fille et Jeanike de préparer du linge et de faire de la charpie… Moi et Sacrovir, en attendant l’heure où les barricades doivent s’élever simultanément dans tous les quartiers de Paris, nous déballerons les cartouches et les armes que bon nombre de nos frères viendront chercher ici.

— Mais, ces armes, mon ami, — demanda madame Lebrenn, — où sont-elles ?