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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/109

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— Ces caisses, — dit le marchand en souriant ; — ces caisses et ces ballots de tantôt ?…

— Ah ! je comprends ! — reprit madame Lebrenn. — Mais il te faudra mettre Gildas dans ta confidence… C’est sans doute un honnête garçon… Cependant ne crains-tu pas…

— À cette heure, chère Hénory, le masque est levé ; il n’y a pas à craindre une indiscrétion… Si ce pauvre Gildas a peur, je lui offrirai une retraite sûre dans la cave… ou au grenier… Maintenant, allons dîner ; et ensuite, toi et ta fille, vous remonterez ici préparer tout pour l’ambulance, avec Jeanike… Nous resterons au magasin, moi et Sacrovir… car nous aurons cette nuit nombreuse compagnie !

Le marchand et sa famille descendirent dans l’arrière-boutique, où ils dînèrent en hâte.

L’agitation allait croissant dans la rue ; on entendait au loin ce grand murmure de la foule, sourd, menaçant, comme le bruit lointain de la tempête sur les vagues. Quelques fenêtres de la rue étaient illuminées en l’honneur du changement de ministère ; mais quelques amis de M. Lebrenn, qui entrèrent et sortirent plusieurs fois afin de lui rendre compte du mouvement, annonçaient que ces concessions de la royauté témoignaient de sa faiblesse, que la nuit serait décisive, que partout le peuple s’armait en entrant dans les maisons et y demandant des fusils ; après quoi l’on écrivait sur la porte à la craie : Armes données

Le dîner terminé, madame Lebrenn, sa fille et la servante remontèrent chez elles, au premier étage, donnant sur la rue ; le marchand, son fils et Gildas restèrent dans l’arrière-magasin.

Gildas était doué par la nature d’un robuste appétit ; cependant il ne dîna pas ; son inquiétude augmentait à chaque instant, et plus que jamais il disait tout bas à Jeanike ou à lui-même :

— Étonnante maison !… étonnante rue !… étonnante ville que celle-ci…

— Gildas ! — lui dit M. Lebrenn, — apportez-moi un marteau