Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/131

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Parmi ces derniers, côte à côte, sur le même matelas, se trouvaient le père Bribri et un sergent de la garde municipale, vieux soldat à moustaches aussi grises que la barbe du chiffonnier.

Celui-ci, après avoir prononcé l’oraison funèbre de Flamèche, avait reçu, lors de l’alerte causée par les dragons, une balle dans la jambe. Le sergent avait reçu, lui, à la première attaque de la barricade, une balle dans les reins.

— Cré coquin ! que je souffre ! — murmura le sergent. — Et quelle soif !… le gosier me brûle…

Le père Bribri l’entendit, et voyant passer Gildas, tenant d’une main une bouteille d’eau mélangée de vin et de l’autre un panier de verres, il s’écria comme s’il eût été au cabaret :

— Garçon ! eh ! garçon ! à boire à l’ancien, s’il vous plaît… il a soif.

Le sergent, surpris et touché de l’attention de son camarade de matelas, lui dit :

— Merci, mon vieux ; c’est pas de refus, car j’étrangle.

Gildas, à l’appel du père Bribri, avait rempli un de ses verres ; il se baissa et le tendit au soldat. Celui-ci essaya de se soulever, mais il n’y put parvenir, et dit en retombant :

— Sacrebleu ! je ne peux pas me tenir assis ; j’ai les reins démolis.

— Attendez, sergent, — dit le père Bribri ; — j’ai une patte avariée, mais les reins et les bras sont encore solides. Je vas vous donner un coup de main.

Le chiffonnier aida le soldat à se mettre sur son séant, et le maintint de la sorte jusqu’à ce qu’il eût fini de boire ; après quoi, il l’aida à se recoucher.

— Merci et pardon de la peine, mon vieux, — dit le municipal.

— À votre service, sergent.

— Dites donc, mon vieux !

— Quoi, sergent ?

— Savez-vous que c’est tout de même une drôle de chose ?

— Laquelle, sergent ?