Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/132

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— Enfin ! de dire qu’il y a deux heures, nous nous fichions des coups de fusil, et que maintenant nous nous faisons des politesses.

— Ne m’en parlez pas, sergent ! C’est bête comme tout les coups de fusil.

— D’autant plus qu’on ne s’en veut pas…

— Parbleu ! que le diable me brûle si je vous en voulais, à vous, sergent !… Et pourtant, c’est peut-être moi qui vous ait cassé les reins… De même que, sans m’en vouloir pour deux liards, vous m’auriez planté votre baïonnette dans le ventre… D’où j’en reviens à dire, sergent, que c’est bête de s’échiner les uns les autres quand on ne s’en veut pas.

— C’est la pure vérité.

— Eh puis, enfin, est-ce que vous y teniez beaucoup à Louis-Philippe… vous, sergent ?

— Moi ? je m’en moque pas mal !… Je tenais à avoir mon temps de retraite pour m’en aller… Voilà mon opinion. Et vous, l’ancien ? la vôtre ?…

— Moi, je suis pour la république, qui assurera du travail et du pain à ceux qui en manquent.

— Si c’est comme ça, l’ancien, j’en serais assez de la république ; car j’ai mon pauvre frère, chargé de famille, à qui le chômage fait bien du mal… Ah ! c’est pour ça que vous vous battiez, vous, l’ancien ? Ma foi, vous n’aviez pas tort…

— Et pourtant, c’est peut-être vous qui m’avez déquillé, farceur ; mais, sans reproche au moins !

— Que diable voulez-vous ? Est-ce que nous savons jamais pourquoi nous nous battons ? La vieille habitude de l’exercice est là ; on nous commande feu… nous faisons feu, sans vouloir trop bien ajuster pour la première fois… vrai… Mais on riposte ferme… Dame… alors… chacun pour sa peau…

— Tiens ! je crois bien…

— On est pincé, ou l’on voit tomber un camarade ; alors on se