Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/133

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monte ; l’odeur de la poudre vous grise, et l’on finit par taper comme des sourds…

— Une fois là, sergent, c’est si naturel !

— Mais, c’est égal, voyez-vous, mon ancien, à portée de fusil, ça va encore ; mais une fois qu’on en vient à s’empoigner corps à corps, à la baïonnette, et que, se regardant le blanc des yeux, on se dit en français : À toi, à moi… tenez, on sent quelque chose qui vous amollit les bras et les jambes, ce qu’on ne sent pas quand on tape sur un vrai ennemi.

— C’est tout simple, sergent, parce que vous vous dites en vous-même : Voilà des gaillards qui veulent la réforme, la république… bon… Quel mal me font-ils à moi ? Eh puis, est-ce que je ne suis pas du peuple comme eux ? Est-ce que je n’ai pas des parents ou des amis dans le peuple aussi ?… Il y a donc cent à parier contre un que je devrais être de leur avis au lieu de les carnager…

— C’est si vrai, l’ancien, que je suis comme vous pour la république… si elle peut donner du pain et du travail à mon pauvre frère, qui en manque.

— C’est ce qui revient à dire, sergent, qu’il n’y a rien de plus bête que de s’esquinter les uns les autres, sans s’être au moins dit le pourquoi de la chose.

Et le père Bribri, tirant de sa poche sa vieille petite tabatière de bois blanc, dit à son compagnon :

— Sergent, en usez-vous ?

— Ma foi, ça n’est pas de refus, l’ancien ; ça me dégagera un peu la cervelle.

— Dites donc, sergent, — dit en riant le père Bribri ; — est-ce que vous seriez enrhumé du cerveau ? Vous savez la chanson :

………………………….Il y avait une fois cinq à six gendarmes
………………………….Qui avaient des bons rhumes de cerveau…

— Ah ! vieux farceur ! — dit le municipal en donnant une tape amicale sur l’épaule de son camarade de matelas, et riant de la plai-