Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Monsieur, — dit-il, — mes blessures ne sont pas assez graves pour m’empêcher de quitter votre maison. Je n’oublierai jamais votre généreuse conduite envers moi, conduite doublement louable, après ce qui s’est passé hier entre nous. Mon seul désir est de pouvoir m’acquitter un jour… Cela me sera difficile, monsieur, car nous sommes vaincus, et vous êtes vainqueurs… J’étais aveugle sur la situation des esprits ; cette révolution soudaine m’éclaire… Le jour de l’avènement du peuple est arrivé… Nous avons eu notre temps, comme vous me le disiez hier. Monsieur, votre tour est venu.

— Je le crois, monsieur… Maintenant, laissez-moi vous donner un conseil… Il ne serait pas prudent à vous de sortir en uniforme… L’effervescence populaire n’est pas encore calmée… Je vais vous donner un paletot et un chapeau rond ; à l’aide de ce déguisement, et dans la compagnie d’un de mes amis, vous pourrez sans encombre regagner votre demeure.

— Monsieur ! vous n’y songez pas… Me déguiser… ce serait une lâcheté !…

— De grâce, monsieur ! pas de susceptibilité exagérée ; n’avez-vous pas conscience de vous être intrépidement battu jusqu’à la fin ?

— Oui… mais désarmé… désarmé par des…

Puis, s’interrompant, il tendit la main au marchand et lui dit :

— Pardon, monsieur… je m’oublie, et je suis vaincu… Soit, je suivrai votre conseil ; je prendrai un déguisement, sans croire commettre une lâcheté. Un homme dont la conduite est aussi digne que la vôtre doit être bon juge en matière d’honneur.

En un instant M. de Plouernel fut vêtu en bourgeois, grâce aux habits que lui prêta le marchand.

Le colonel, montrant alors son casque bossué placé à côté de son uniforme à demi déchiré pendant la lutte, dit à M. Lebrenn :

— Monsieur, je vous en prie, gardez mon casque, à défaut de mon sabre, que j’aurais aimé à vous laisser comme souvenir d’un soldat à qui vous avez généreusement sauvé la vie.