Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/153

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car, je vous le répète, il est certains souvenirs de famille qui ne doivent jamais sortir du foyer domestique.

— Je n’insisterai pas, monsieur, — dit M. de Plouernel.

Et après un instant d’hésitation il reprit :

— Un mot encore, monsieur… Encore une question indiscrète, sans doute…

— J’écoute, monsieur.

— Que pensez-vous de moi… en me voyant servir la république ?

— Une telle question, monsieur, appelle une réponse d’une entière franchise.

— Vous ne pouvez m’en faire d’autre, monsieur, je le sais.

— Eh bien ! vous ne croyez pas à la durée de la république ; vous pensez vous servir utilement, pour l’avenir de votre parti, de l’autorité que vous confie, ainsi qu’à tant d’autres royalistes, un pouvoir parjure… Vous espérez enfin, à un moment donné, user de votre position dans l’armée pour favoriser le retour de votre maître, ainsi que vous appelez, je crois, ce gros garçon, le dernier des Capets et des rois franks par droit de conquête… Le gouvernement de monsieur Bonaparte met entre vos mains des armes contre la république… Vous les acceptez, c’est de bonne guerre, à votre point de vue.

— Et au vôtre ?

— Au mien ?

— Oui…

— Je ne ferais pas cela, monsieur… Je hais la monarchie pour les maux affreux dont, pendant des siècles, elle a écrasé mon pays, où elle s’est établie en conquérante, par la violence, le vol et le meurtre ! Oui… je la hais ! je l’ai combattue de toutes mes forces… mais jamais je ne l’aurais servie… avec l’intention de lui nuire… Jamais je n’aurais porté sa livrée, ses couleurs.

— Je ne porte pas la livrée de la république, monsieur ! — dit vivement M. de Plouernel. — Je porte l’uniforme de l’armée française !…