Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/172

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sont arrivés au servage, condition un peu moins horrible. Puis, de serfs, ils sont devenus vassaux, puis main-mortables, nouveaux progrès ; et toujours ainsi, de pas en pas, se frayant, à force de patience et d’énergie, une route à travers les siècles et les obstacles, ils sont enfin arrivés à reconquérir leur droit divin, à eux et à nous ; c’est-à-dire la souveraineté du peuple. Et n’est-ce pas à la fois un droit et une récompense ? car enfin, à cette heure, tout ce qui constitue la richesse de la France que nos pères avaient reçue des mains de Dieu, nue, inculte et sauvage, ces terres cultivées, ces industries, ces monuments, ces routes, ces canaux, que sais-je ? enfin toutes les merveilles de civilisation dont la France est aujourd’hui couverte, ne sont-elles pas le fruit de l’accumulation du travail de nos aïeux, prolétaires et bourgeois durant des siècles ? Ah ! eux seuls ne sont jamais restés oisifs ! et tandis que les rois, les seigneurs de la conquête franque, et le haut clergé catholique, leur éternel et indigne complice, jouissaient dans l’indolence ; chacune de nos laborieuses générations, à nous autres Gaulois conquis, asservis et dépouillés, augmentait les incalculables richesses du pays ! Et pour prix de ces labeurs séculaires, le prolétariat aujourd’hui émancipé n’interviendrait pas légalement, pacifiquement, de par son droit souverain, dans une plus équitable exploitation de ces trésors, créés, fécondés, par la sueur et par le sang de ses pères ! Quoi ! pauvres enfants ! le prolétariat risquerait d’être demain replongé dans le servage, parce que, selon la nature des choses, à l’action succède une réaction passagère ; parce que des traîtres ont escaladé le pouvoir ; parce que les rois d’Europe, sentant leur fin venue, redoublent de férocité comme la bête sauvage aux abois ?… Vous désespérez de l’avenir ? lorsque, grâce au suffrage universel, leur dernière et impérissable conquête, les déshérités d’hier, aujourd’hui majorité immense, peuvent demain imposer à la minorité privilégiée de la veille leur volonté, souveraine comme l’équité ? Quoi ! vous désespérez ? lorsque le pouvoir est révocable à la voix de nos représentants, nommés, commis par nous juges suprêmes