Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/201

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— Que dis-tu ? — s’écria le voyageur en se dressant soudain sur son séant, seul mouvement qui lui fût permis, parce qu’il avait les jambes liées et les mains attachées derrière le dos. — Que dis-tu ? ta fille ? une des neuf vierges de l’île de Sên ?…

— Cela paraît te surprendre beaucoup, et t’adoucir un peu, ami hôte ?…

— Ta fille, — reprit l’étranger, comme s’il ne pouvait croire à ce qu’il entendait, — ta fille… une des neuf druidesses de l’île de Sên ?…

— Aussi vrai qu’il y a demain dix-huit années qu’elle est née ; car nous nous apprêtons à fêter sa naissance, et tu pourras être de la fête. L’hôte, assis à notre foyer, est de notre famille… Tu verras ma fille ; elle est la plus belle, la plus douce, la plus savante de ses compagnes, sans pour cela médire d’aucune d’elles.

— Allons, — reprit moins brusquement l’inconnu, je te pardonne la violence que tu m’as faite.

— Violence hospitalière, ami.

— Hospitalière ou non, tu m’as empêché par la force de me rendre à l’anse d’Érer, où une barque m’attendait jusqu’au coucher du soleil pour me conduire à l’île de Sên.

À ces mots Joel se mit à rire.

— De quoi ris-tu ? — lui demanda l’étranger.

— Si tu me disais qu’une barque ayant une tête de chien, des ailes d’oiseau et une queue de poisson, t’attend pour te conduire dans le soleil, je rirais de même de tes paroles.

— Je ne te comprends pas.

— Tu es mon hôte ; je ne t’injurierai point en te disant que tu mens. Mais je te dirai : Ami, tu plaisantes en parlant de cette barque qui te doit conduire à l’île de Sên. Jamais homme… excepté le plus ancien des druides… n’a mis, ne met et ne mettra le pied dans l’île de Sên…

— Et quand tu vas y voir ta fille ?