Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/213

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neur, que l’étranger s’assit, ayant à sa droite Joel, à sa gauche Mamm’Margarid.

Les vieillards, les femmes, les jeunes filles, les enfants, se placèrent ensuite autour de la table ; les hommes faits et les jeunes gens se tinrent derrière sur un second rang, d’où ils se levaient parfois pour remplir tour à tour l’office de serviteurs, allant de temps à autre, lorsqu’elle s’était vidée en passant de main en main, à commencer par l’étranger, remplir la grande coupe à un tonneau d’hydromel placé dans un des coins de la salle ; chacun, muni d’un morceau de pain d’orge et de blé, prenait ou recevait une tranche de viande rôtie ou de salaison, qu’il mordait à belles dents, ou qu’il dépeçait avec son couteau.

Le vieux dogue de guerre, Deber-Trud, jouissant du privilège de son âge et de ses longs services, était couché aux pieds de Joel, qui n’oubliait pas ce fidèle serviteur.

Vers la fin du repas, Joel ayant tranché le jambon de sanglier, en détacha le pied, et, selon une ancienne coutume, il dit à son jeune parent Armel, en lui donnant ce pied : 


— À toi, Armel, le morceau du plus brave ! à toi, le vainqueur dans la lutte d’hier soir !…

Au moment où Armel, très-fier d’être reconnu pour le plus brave en présence de l’étranger, avançait la main pour prendre le pied de sanglier que lui présentait Joel, un tout petit homme de la famille, que l’on appelait Rabouzigued, à cause de sa petite taille, dit :

— Armel a été hier vainqueur à la lutte parce que Julyan n’a pas lutté contre lui : deux taureaux d’égale force s’évitent, se craignent et ne se combattent pas.

Julyan et Armel, humiliés de s’entendre dire devant un étranger qu’ils ne luttaient pas l’un contre l’autre parce qu’ils se redoutaient, devinrent très-rouges.

Julyan, dont les yeux brillaient déjà, s’écria :

— Si je n’ai pas lutté contre Armel, c’est qu’un autre s’est présenté