Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/30

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la portant à sa bouche avec précipitation, le père Morin ajouta tout en mangeant :

— Tiens, voilà comme je la trouve mauvaise, ta soupe… tiens… tiens… Ah ! je la trouve mauvaise… tiens… tiens… Ah ! elle est mauvaise…

Et à chaque tiens il avalait une cuillerée.

— Pour Dieu, grand-père, maintenant, n’allez pas si vite, — s’écria Georges en arrêtant le bras du vieillard ; — vous allez vous étrangler.

— C’est ta faute aussi ; me dire que je trouve ta soupe mal faite, tandis que c’est un nectar ! — reprit le bonhomme en s’apaisant et savourant son potage plus à loisir, — un vrai nectar des dieux !

— Sans vanité, — reprit Georges en souriant, — j’étais renommé au régiment pour la soupe aux poireaux… Ah çà, maintenant, je vais charger votre pipe.

Puis, se penchant vers le bonhomme, il lui dit en le câlinant :

— Hein ! il aime bien ça… fumer sa petite pipe dans son lit, le bon vieux grand-père ?

— Qu’est-ce que tu veux que je te dise, Georges ? tu fais de moi un pacha, un vrai pacha, — répondit le vieillard pendant que son petit-fils allait prendre une pipe sur un meuble ; il la remplit de tabac, l’alluma, et vint la présenter au père Morin. Alors celui-ci, bien adossé à son chevet, commença de fumer délicieusement sa pipe.

Georges lui dit en s’asseyant au pied du lit :

— Qu’est-ce que vous allez faire aujourd’hui ?

— Ma petite promenade sur le boulevard, où j’irai m’asseoir si le temps est beau…

— Hum !… grand-père, je crois que vous ferez mieux d’ajourner votre promenade… Vous avez vu hier combien les rassemblements étaient nombreux ; on en est venu presque aux mains avec les municipaux et les sergents de ville… Aujourd’hui ce sera peut-être plus sérieux.

— Ah çà, mon enfant, tu ne te fourres pas dans ces bagarres-là ?