Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/31

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Je sais bien que c’est tentant, quand on est dans son droit ; car c’est une indignité au gouvernement de défendre ces banquets… Mais je serais si inquiet pour toi !

— Soyez tranquille, grand-père, vous n’avez rien à craindre pour moi ; mais suivez mon conseil, ne sortez pas aujourd’hui.

— Eh bien, alors, mon enfant, je resterai à la maison ; je m’amuserai à lire un peu dans tes livres, et je regarderai les passants par la fenêtre en fumant ma pipe.

— Pauvre grand-père, — dit Georges en souriant ; — de si haut, vous ne voyez guère que des chapeaux qui marchent.

— C’est égal, ça me suffit pour me distraire ; et puis je vois les maisons d’en face, les voisins se mettre aux fenêtres… Ah ! mais… j’y pense : à propos des maisons d’en face, il y a une chose que j’oublie toujours de te demander… Dis-moi donc ce que signifie cette enseigne du marchand de toiles, avec ce guerrier en casque, qui met son épée dans une balance ? Toi, qui as travaillé à la menuiserie de ce magasin quand on l’a remis à neuf, tu dois savoir le comment et le pourquoi de cette enseigne ?

— Je n’en savais pas plus que vous, grand-père, avant que mon bourgeois ne m’eût envoyé travailler chez monsieur Lebrenn, le marchand de toiles.

— Dans le quartier, on le dit très-brave homme, ce marchand ; mais quelle diable d’idée a-t-il eue de choisir une pareille enseigne… À l’Épée de Brennus ! Il aurait été armurier, passe encore. Il est vrai qu’il y a des balances dans le tableau, et que les balances rappellent le commerce… mais pourquoi ce guerrier, avec son casque et son air d’Artaban, met-il son épée dans ces balances ?

— Sachez, grand-père… mais vraiment je suis honteux d’avoir l’air, à mon âge, de vous faire ainsi la leçon.

— Comment, honteux ? Pourquoi donc ? Au lieu d’aller à la barrière le dimanche, tu lis, tu apprends, tu t’instruis ? Tu peux, pardieu, bien faire la leçon au grand-père… il n’y a pas d’affront.