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Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/325

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a fait couler devant et derrière les barricades ; mais nous nous révoltons aussi contre les abominables calomnies dont on a poursuivi tous les insurgés indistinctement. Nous en appelons entre autres au témoignage du brave général Piré, qui, dans une lettre adressée aux représentants du peuple, s’exprimait ainsi :

« Citoyens représentants, entré le premier à la baïonnette, le 23 juin, dans la barricade de la rue Nationale-Saint-Martin, je me suis vu quelques instants seul au milieu des insurgés animés d’une exaspération indicible ; nous combattions à outrance de part et d’autre ; ils pouvaient me tuer, ils ne l’ont pas fait ! J’étais dans les rangs de la garde nationale, en grande tenue d’officier général ; ils ont respecté le vétéran d’Austerlitz et de Waterloo ! Le souvenir de leur générosité ne s’effacera jamais de ma mémoire… Je les ai combattus à mort, je les ais vus braves, Français qu’ils sont. Encore une fois, ils ont épargné ma vie. Ils sont vaincus, malheureux : je leur dois le partage de mon pain… Advienne que pourra ! …….Le lieutenant général Piré. »

Était-ce à des pillards, à des cannibales que croyaient s’adresser le président de l’Assemblée Nationale et le général Cavaignac dans ces proclamations ?

« 23 juin 1848.

: « Ouvriers,

» On vous trompe, on vous égare. Regardez quels sont les fauteurs de l’émeute :

» Hier, ils prenaient le drapeau des prétendants, aujourd’hui ils exploitent la question des ateliers nationaux : ils dénaturent les actes et la pensée de l’Assemblée Nationale… Le pain est suffisant pour tous, il est assuré pour tous ; la Constitution garantira à jamais l’existence à tous ; déposez donc vos armes, etc., etc.

 » Sénard, président de l’Assemblée Nationale. »

« 25 juin 1848.

«… On vous dit que de cruelles vengeances vous attendent : ce sont vos ennemis, les nôtres, qui parlent ainsi. On vous a dit que vous serez sacrifiés de sang-froid ! Venez à nous, venez comme des frères repentants et soumis à la loi, et les bras de la République sont prêts à vous recevoir.………………………….Sénard, Cavaignac. »

En6n, nous citons, sans commentaire, ce passage du journal l’Atelier :

« Octobre 1848.

» Trois mois se sont écoulés depuis les journées de juin, et maintenant on peut juger avec plus de sang-froid la cause de ces effroyables événements ; sans doute on y trouvera, comme toujours, des hommes qui exploitent, au point de vue de leur ambition, les malheurs publics, des hommes qui sacrifieraient le monde entier à leur esprit haineux et égoïste ; mais le véritable moteur, celui qui a mis le fusil à la main de trente mille combattants, c’était la désolante misère qui ne raisonne pas. Les pères de famille connaissent seuls, hélas ! la puissance de cette excitation.

» Écoutez plutôt celui-ci, que le conseil de guerre vient de condamner à dix ans de travaux forcés :

« J’avais couru pendant deux jours pour avoir du travail, je n’en avais trouvé nulle part… Je rentrai près de ma femme malade ; elle était dans son lit, sans chemise, sans camisole, avec un lambeau de couverture autour d’elle ! J’eus un instant la pensée du suicide ; mais je la repoussai quand je vis à côté la petite figure toute rose de mon enfant, qui dormait profondément au milieu de cette affreuse misère. Ma femme mourut ; je restai seul avec mes deux enfants ; c’était deux jours avant l’insurrection. Mon fils, me montrant le panier qu’il portait habituellement pour aller à l’école, et où on lui mettait sa petite provision, me disait : Papa, tu n’as donc rien mis dedans ? Eh bien, messieurs, voilà pourquoi j’ai écouté mes malheureux camarades….. J’avais souffert comme eux… Quand ils vinrent me chercher, je cédai ; mais je leur dis : Je vous le jure, par la mémoire de ma pauvre sainte mère : si nous sommes vaincus, je serai jeté