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CHAPITRE III.


Comment M. Marik Lebrenn, le marchand de toile, devina ce que Georges Duchêne, le menuisier, ne voulait pas dire, et ce qui s’ensuivit.




M. Lebrenn avait cinquante ans environ, quoiqu’il parût plus jeune. Sa grande stature, la nerveuse musculature de son cou, de ses bras et de ses épaules, le port fier et décidé de sa tête, son visage large et fortement accentué, ses yeux bleus de mer au regard ferme et perçant, son épaisse et rude chevelure châtain clair quelque peu grisonnante et plantée un peu bas sur un front qui semblait avoir la dureté du marbre, offraient le type caractéristique de la race bretonne, où le sang et le langage gaulois se sont surtout perpétués presque sans mélange jusqu’à nos jours. Sur les lèvres vermeilles et charnues de M. Lebrenn régnait tantôt un sourire rempli de bonhomie, tantôt empreint d’une malice narquoise et salée, comme disent nos vieux livres en parlant des plaisanteries de haut goût, du vieil esprit gaulois, toujours si enclin à gaber (narguer). Nous achèverons le portrait du marchand en l’habillant d’un large paletot bleu et d’un pantalon gris.

Georges Duchêne, étonné, presque interdit de cette visite imprévue, attendait en silence les premières paroles de M. Lebrenn. Celui-ci lui dit:

— Monsieur Georges, il y a six mois, vous avez été chargé, par votre patron, de différents travaux à exécuter dans ma boutique ; j’ai été fort satisfait de votre intelligence et de votre habileté.

— Vous me l’avez prouvé, monsieur, par votre bienveillance.