Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/53

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mencé hier soir, ce matin elle est à son comble ; nos sections sont prévenues : on s’attend d’un moment à l’autre à une prise d’armes… Vous le savez ?

— Oui, monsieur ; j’ai été prévenu hier.

— Ce soir, ou cette nuit, nous descendons dans la rue… Ma fille et ma femme l’ignorent, non que j’aie douté d’elles, — ajouta le marchand de toile en souriant ; — ce sont de vraies Gauloises, dignes de nos mères, vaillantes femmes, qui encourageaient du geste et de la voix, pères, frères, fils et maris à la bataille ! Mais vous connaissez nos statuts ; ils nous imposent une discrétion absolue. Georges, avant trois jours, la royauté de Louis-Philippe sera renversée, ou notre parti sera encore une fois vaincu, mais non découragé, l’avenir lui appartient. Dans cette prise d’armes, mon ami, vous ou moi, vous et moi, nous pouvons rester sur une barricade.

— C’est la chance de la guerre, monsieur… puisse-t-elle vous épargner !

— Dire d’avance à ma fille que je consens à son mariage avec vous, et que vous l’aimez, ce serait doubler ses regrets si vous succombez.

— C’est juste, monsieur.

— Je vous demande donc, Georges, d’attendre l’issue de la crise pour tout dire à ma fille… Si je suis tué, ma femme saura mes derniers désirs ; ils sont que vous épousiez Velléda.

— Monsieur, — reprit Georges d’une voix profondément émue, — ce que je ressens à cette heure ne peut s’exprimer… je ne peux vous dire que ces mots : Oui, je serai digne de votre fille… oui, je serai digne de vous… la grandeur de la reconnaissance ne m’effraye pas… mon cœur et ma vie y suffiront, croyez-le, monsieur.

— Et je vous crois, mon brave Georges, — dit le marchand en serrant affectueusement les mains du jeune homme dans les siennes. — Un mot encore ! Vous avez des armes ?