Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mination plus triste que haineuse ; il allait de l’un à l’autre de ces portraits, comme s’ils eussent éveillé en lui mille souvenirs. Son regard s’arrêtait pensif sur ces figures immobiles, muettes comme des spectres. Plusieurs de ces personnages parurent surtout exciter vivement son attention. L’un, évidemment peint d’après des indications ou des souvenirs transmis postérieurement à l’époque de la date du tableau (an 497), devait être le fondateur de cette antique maison ; on lisait dans l’angle de la toile le nom de Gonthramm Neroweg. Ce personnage était un homme d’une taille colossale ; ses cheveux, d’un rouge de cuivre (B), relevés à la chinoise, et arrêtés au sommet de sa tête, au moyen d’un cercle d’or, retombaient ensuite sur ses épaules comme la crinière d’un casque. Les joues et le menton étaient rasées, mais de longues moustaches, du même rouge que les cheveux, tombaient presque jusque sur la poitrine, tatouée de bleu et à demi cachée par une espèce de plaid ou de manteau bariolé de jaune et de rouge. On ne pouvait imaginer une figure d’un caractère plus farouche et plus barbare que celle de ce premier des Neroweg.

Sans doute, à son aspect, de cruelles pensées agitèrent le marchand de toile ; car, après avoir longtemps regardé ce portrait, M. Lebrenn ne put s’empêcher de lui montrer le poing, mouvement involontaire et puéril dont il parut bientôt confus.

Le second portrait, qui parut non moins vivement impressionner le marchand de toile, représentait une femme vêtue de l’habit monastique ; ce tableau portait la date de 759 et le nom de Méroflède, abbesse de Meriadek en Plouernel. Particularité assez étrange, cette femme tenait d’une main une crosse abbatiale, et de l’autre une épée nue et sanglante, afin d’indiquer sans doute que ce glaive n’était pas toujours resté dans le fourreau. Cette femme était très-belle, mais d’une beauté fière, sinistre, violente ; ses traits, fatigués par les excès et enveloppés de longs voiles blancs et noirs ; ses grands yeux gris étincelants sous leurs épais sourcils roux ; ses lèvres rouges comme du sang, d’une expression à la fois méchante et sensuelle : enfin cette