Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/75

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crosse et cette épée sanglante entre les mains d’une abbesse formaient un ensemble étrange, presque effrayant.

M. Lebrenn, après avoir contemplé cette image avec un dégoût mêlé d’horreur, murmura tout bas :

— Ah ! Méroflède ! noble abbesse, sacrée par le démon ! Messaline ou Frédégonde étaient des vierges auprès de toi ! le maréchal de Retz, un agneau ! et son château infâme un saint lieu auprès de ton cloître de damnées !

Puis il ajouta avec un soupir douloureux, en levant les yeux au ciel comme s’il eût plaint des victimes :

— Pauvre Septimine la Coliberte ! Et toi… malheureux Broute-Saule !

Et, détournant le regard avec tristesse, M. Lebrenn resta un moment pensif ; lorsqu’il releva les yeux, ils s’arrêtèrent sur un autre portrait daté de 1237, représentant un guerrier aux cheveux ras, à la longue barbe rousse, armé de toutes pièces, et portant sur l’épaule le manteau rouge et la croix blanche des croisés.

— Ah ! — fit le marchand de toile avec un nouveau geste d’aversion, — le moine rouge !

Et il passa la main sur ses yeux comme pour chasser une hideuse vision.

Mais bientôt les traits de M. Lebrenn se déridèrent ; il soupira avec une sorte d’allégement, comme si de douces pensées succédaient chez lui à de cruelles émotions ; il attachait un regard bienveillant, presque attendri, sur un portrait daté de l’an 1463, et portant nom de Gontran XII, sire de Plouernel.

Ce tableau représentait un jeune homme de trente ans au plus, vêtu d’un pourpoint de velours noir, et portant au cou le collier d’or de l’ordre de Saint-Michel. On ne pouvait imaginer une physionomie plus douce, plus sympathique ; le regard et le demi-sourire qui effleurait les lèvres de ce personnage avaient une expression d’une mélancolie touchante.