Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 1.djvu/85

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Mais, pour revenir à mon idée… m’est avis, selon mon petit jugement, monsieur, m’est avis que vous ne seriez pas fâché de prendre ma fille pour maîtresse…

— Comment ! — s’écria le comte tout à fait décontenancé par cette brusque apostrophe ; — je ne sais pas… je ne comprends pas ce que vous voulez dire…

— Voire ! monsieur… je ne suis qu’un bonhomme… je vous parle ainsi selon mon petit jugement.

— Votre petit jugement !… votre petit jugement !… mais il vous sert fort mal, monsieur ; car, d’honneur, vous êtes fou ; votre idée n’a pas le sens commun.

— Vraiment ? ah bien, tant mieux !… Je m’étais dit, suivez bien, s’il vous plaît, mon petit raisonnement… je m’étais dit : Je suis un bon bourgeois de la rue Saint-Denis, je vends de la toile, j’ai une jolie fille ; un jeune seigneur… (car il paraît que nous revenons au temps des jeunes seigneurs) un jeune seigneur a vu ma fille, il en a envie ; il me fait une grosse commande, il ajoute des offres de service, et, sous ce prétexte…

— Monsieur Lebrenn… je ne souffre pas certaines plaisanteries de certaines gens…

— D’accord… mais suivez bien toujours, s’il vous plaît, mon petit raisonnement… Ce jeune seigneur, me dis-je, me propose de donner un carrousel en l’honneur des beaux yeux de ma fille, de venir souvent nous voir, à seule fin, en faisant ainsi le bon prince, de parvenir à suborner mon enfant.

— Monsieur, — s’écria le comte devenant pourpre de dépit et de colère, — de quel droit vous permettez-vous de me supposer de pareilles intentions ?

— À la bonne heure, monsieur, voilà qui est parler ; ce n’est point vous, n’est-ce pas, qui auriez imaginé un projet non-seulement indigne, mais énormément ridicule ?

— Assez, monsieur… assez !