Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 10.djvu/103

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Change, arrivèrent à un guichet sous lequel ils devaient passer afin de traverser la Cour-Dieu ; leur marche fut arrêtée par une foule compacte rassemblée aux abords du guichet, garni d’un tourniquet destiné à empêcher les chevaux et les voitures d’entrer dans cette enceinte entourée de maisons appelée la Cour-Dieu.

— Pourquoi donc cet attroupement ? — demanda Christian à un homme de carrure athlétique, portant une chemise aux manches retroussées, un tablier sanglant et un long couteau à son côté.

— Saint Jacques ! — répondit le boucher avec un accent de pieuse satisfaction, — les révérends pères cordeliers de la Cour-Dieu ont eu là une bonne idée.

— Comment ? — reprit Christian, — quelle idée ?

— Ces braves moines ont établi sur la place, à la porte de leur couvent, une chapelle ardente, au pied d’une belle statue de la sainte Vierge, et deux moines quêteurs se tiennent à côté de la statue.

— À quoi bon cette chapelle et ces moines quêteurs ?

— Saint Jacques ! — et le boucher se signa, — grâce à cette chapelle on reconnaît ces chiens de luthériens lorsqu’ils passent.

— Par quel moyen les reconnaît-on ?

— S’ils passent devant la chapelle sans s’agenouiller aux pieds de la sainte Vierge et sans mettre une pièce de monnaie dans la bourse des moines quêteurs, c’est une preuve que ces ensabbattés sont hérétiques… alors, on court dessus, on les assomme, on les écharpe ! Tenez, entendez-vous ? entendez-vous…

En effet, à ce moment, des cris perçants à demi étouffés par des rumeurs courroucées s’élevaient de l’intérieur de la place de la Cour-Dieu, où l’on ne pouvait pénétrer que par le guichet ; son tourniquet ne livrant passage qu’à une personne à la fois, ses abords s’encombraient de moment en moment d’une foule avide de jouir du triste spectacle offert par l’épreuve des luthériens. Les cris de la victime ayant cessé, les clameurs s’apaisèrent, le boucher reprit :

— Le parpaillot ne crie plus… il a son compte… que le feu de